Cette phrase gravée sur le monument résume les préceptes de réincarnation et d’évolution de l’âme qu’il défendit dur comme fer au cours de son existence.
Le Français Allan Kardec (1804-1869) reste dans l’Histoire comme le « codificateur du spiritisme ». Quand Allan Kardec se penche sur le phénomène des « tables tournantes » en 1854, il a déjà 50 ans et une activité bien établie d’enseignant et d’auteur de livres scolaires. Il se passionne cependant depuis sa jeunesse pour les faits inexpliqués concernant notamment le « somnambulisme magnétique ».
La science spirite distingue trois parties en l’homme : le corps physique, l’esprit ou âme (à la fois personnalité, intelligence, conscience, volonté…) et le périsprit. Ce dernier principe est l’énergie qui, animant le corps, pourrait être utilisée par l’esprit (immortel) après la mort pour se manifester aux vivants dans le cadre de la médiumnité. Les esprits, en effet, ne poursuivent qu’un seul but : que l’homme prenne conscience de sa véritable nature pour se réaliser et participe à la transformation progressive de l’humanité. Le spiritisme est également, dès l’origine, un mouvement humaniste qui prend position en faveur du progrès social, du vote des femmes, de l’abolition de l’esclavage, du désarmement, et qui se prononce contre la peine de mort. Se défendant d’être un prophète, Kardec a tout de même inscrit la révélation spirite dans le prolongement de celles de Moïse et de Jésus Christ. En 1917, le Vatican interdit cependant aux catholiques de participer à des séances spirites.
Hippolyte Rivail : de la science à l’occultisme
En 1854, Hippolyte Rivail a cinquante ans. Il a depuis sa jeunesse une passion un peu secrète pour le somnambulisme et le magnétisme animal sur lesquels il a accumulé au fil des années une importante documentation. Quelques-uns de ses amis (dont l’éditeur Didier), collectionneurs eux aussi de « faits étranges », lui demandent de faire le tri dans cette masse d’informations hétéroclites et d’en produire une synthèse publiable. Mais Hippolyte Rivail hésite. Il est à l’époque enseignant ayant pignon sur rue (il fut l’élève de Pestalozzi, l’un des précurseurs de la pédagogie moderne, dont il propage depuis les idées), auteur de livres scolaires à caractère scientifique dont le but avoué par lui-même est de « débarrasser la jeunesse des multiples superstitions qui polluent les esprits juvéniles et malléables ». Il craint que ce projet d’édition sur des phénomènes qu’il considère encore insuffisamment prouvés brouille son image publique de scientifique rigoureux. Pourtant il sait bien qu’au fond de lui-même il a toujours été partagé entre deux sentiments contradictoires : d’une part, un enthousiasme authentique pour le progrès scientifique de ce XIXe siècle florissant en la matière, et d’autre part un penchant mystique qui, depuis l’âge de 19 ans, le fait se passionner pour les phénomènes que l’on dit à l’époque « occultes ». Hippolyte Rivail finit par se plier à l’injonction de ses amis et entreprend – sans véritable enthousiasme dit-on — la tâche de forçat qui lui est demandée : écrire un ouvrage encyclopédique sur les esprits et les communications possibles avec eux à partir de l’énorme documentation amassée par ses amis et lui…
C’est peu après cette décision (1855) qu’Hippolyte Rivail se laisse entraîner par un ami convaincant (contre son gré et juste par curiosité, dit-on encore) à participer à sa première séance « d’évocation » et d’écriture médiumnique. Il est tout d’abord troublé, puis rapidement « convaincu » :
« Ce fut là, avouera-t-il plus tard, que, pour la première fois, je fus témoin du phénomène des tables tournantes et cela dans des conditions telles que le doute ne m’était plus permis… ».
Sa croyance confuse en la possible existence d’entités immatérielles entourant les humains s’affermit dès lors au gré des expériences qui suivent. Les « séances d’évocation » deviennent pour Hippolyte Rivail une activité régulière, puis une passion dévorante et incontournable. Lors de l’une d’elles, un esprit nommé Zéphir (institué par ses amis comme étant son « ange gardien » 3), inspiré par un médium renommé de l’époque, lui fait une révélation d’importance :
« Nous vivions tous deux ensemble il y a bien longtemps dans les Gaules. Nous étions amis, tu étais druide et t’appelais alors Allan Kardec… ».
Hippolyte Rivail est subjugué. A partir de ce jour-là, de multiples relations très amicales se créaient entre lui et de nombreux Esprits, tous plus affables et humanistes les uns que les autres. Citons (entre autres) : saint Jean l’Evangéliste, saint Augustin, saint Vincent de Paul, Socrate, Platon….
Et Hippolyte devint Allan !
Allan Kardec, puisque tel est désormais son pseudonyme spirite, vit dès lors totalement sous l’emprise de la médiumnité. Il mène de front son métier de professeur de lycée et l’écriture de son ouvrage sur la communication avec les Esprits. Un jour qu’il y travaille, il entend distinctement des coups insolites frappés sur la cloison de son bureau. A la séance de spiritisme suivante, il questionne la table. L’Esprit qui « l’anime » est péremptoire :
« C’est moi ton Esprit familier qui ai frappé. Pour toi, je m’appellerai la Vérité, et tous les mois, pendant un quart d’heure, je serai à ta disposition. Ce que j’avais à te dire concernait ce que tu faisais. Ce que tu écrivais me déplaisait et je voulais le faire cesser. Il y a une grave erreur à la trentième ligne que tu dois corriger ».
Allan Kardec, docile, relit l’ouvrage et découvre effectivement une erreur à la trentième ligne !
Désormais les Esprits ne le quittent plus et sont, à ses dires, ses plus fidèles et meilleurs conseillers. C’est le 30 avril 1856 que Zéphir, son ange gardien, lui révèle sa mission :
« […] Il n’y aura plus de religion et il en faudra une, mais vraie, grande, belle et digne du Créateur… Les premiers fondements en sont déjà posés. Toi Rivail, ta mission est là ».
La petite histoire nous rapporte qu’aussitôt la corbeille d’osier (qui servait à recueillir les retranscriptions par écriture automatique du médium) se retourne vers Kardec comme une personne qui l’aurait montré du doigt. Comme dit malicieusement Sylvia Sztruzman dans un article 4 sur Allan Kardec : « Autrefois c’était un éclair ou une déchirure du ciel qui informait l’Elu de sa prédestination à réformer l’univers. Le XIXe siècle y a substitué le tressaillement d’une corbeille sauteuse. Il fait autant d’effet que le tonnerre de Dieu ».
Messager des Esprits, pape du spiritisme !
Pour le nouveau prophète désigné, il s’agit là d’une « Révélation ». Les Esprits sont désormais pour lui une réalité « scientifiquement observable » et l’ont manifestement choisi pour être leur messager sur Terre. C’est sur cette croyance, qui peu à peu s’érige en dogme, qu’il entreprend avec ferveur le Livre des Esprits où il retranscrit, sous forme de questions/réponses qu’il commente parfois, ses discussions avec les Grands Esprits. On y apprend qu’une hiérarchie presque « administrative » (et très moralisante) existe chez les Esprits, allant de l’« Esprit protecteur » au « mauvais Esprit », en passant, entre autres, par l’« Esprit sympathique » et l’« Esprit familier ».
Le Livre des Esprits paraît le 18 avril 1857. Le succès de librairie est immédiat et retentissant. Allan Kardec profite de cette dynamique pour fonder la Revue spirite dont la publication perdure encore aujourd’hui.
En 1857, en la personne de Allan Kardec, le spiritisme s’est trouvé un pape, il ne lui manque plus, pour asseoir solidement sa notoriété dans l’opinion publique, que quelques thuriféraires prestigieux. Ils ne vont pas manquer : de Victor Hugo en exil (qui jeta malgré tout le trouble sur la science spirite en affirmant avoir eu des contacts avec des esprits d’animaux ! …) à Camille Flammarion, esprit brillant des salons parisiens, du physicien anglais Crookes au Docteur Richet, du philosophe Bergson au dramaturge Victorien Sardou.
Il faut aussi des contradicteurs virulents, dont l’acharnement exacerbé ne fait que confirmer le « bien-fondé » de la nouvelle science spirite. Ils ne manquent pas non plus. Autant dans les milieux scientifiques, effondrés par ce triomphe de la crédulité hystérique et obscurantiste, que du côté de l’Eglise qui ne peut accepter l’idée que Dieu le Père puisse déléguer ses pouvoirs à des esprits pour nommer un nouveau prophète (l’autodafé de l’évêque de Barcelone à l’encontre du spiritisme prendra même un ton qui rappellera fortement la violence agressive de l’Inquisition). Il est d’ailleurs étonnant de constater que, de nos jours, des ouvrages académiques sur l’histoire des religions fassent l’impasse sur le spiritisme. Comme si les exégètes des grandes religions, toujours prêts à respecter les « petits mouvements religieux anecdotiques », craignaient d’accréditer un courant tellement attractif que des fidèles, pourtant venus d’obédiences antérieures fort diverses, s’y engagent avec autant de facilité.