En Occident, de nos jours, le spiritisme semble avoir beaucoup perdu de son influence. On le retrouve d’une façon parcellaire dans la nébuleuse « New-Age » où perdurent quelques croyances aux « anges gardiens ». Sans doute son importance s’est-elle dégradée avec l’enlisement de l’engouement pour la médiumnité. Il ne faudrait cependant pas la sous-estimer. En effet, les enquêtes sociologiques montrent que la croyances « aux esprits des morts » ou « aux âmes errantes » est loin d’être négligeable. La revue Phosphore (ciblée sur un lectorat de 20 ans) publie dans son numéro de novembre 2002 une enquête sur les croyances paranormales des jeunes. Les résultats sont stupéfiants : 25 % d’entre eux (1 sur 4 !) croient aux « tables tournantes ».
Dans des populations plus exubérantes qu’en Europe, où la peur d’être jugé sur l’irrationalité de ses croyances est moins prégnante (Amérique du Sud par exemple), le spiritisme fédère de nombreux mouvements religieux qui s’affichent dans des manifestations populaires grandioses.
Bien que le prophète « Allan Kardec » n’ait plus en France la résonance médiatique qui était encore la sienne il y a moins d’un siècle, sa tombe parisienne (la plus visitée du prestigieux cimetière du Père Lachaise !) est fleurie toute l’année par des fidèles anonymes venus rendre hommage ou demander une faveur au « Maître ».
Les croyances occidentales à la « métapsychique » des années 1880/1920, autoproclamée depuis « parapsychologie scientifique », doit beaucoup au succès passé du spiritisme, étroitement lié qu’il était à l’engagement de célébrités scientifiques et littéraires de l’époque, tels (déjà cités) le Dr Richet (qui obtiendra le Prix Nobel de médecine en 1912) ou Camille Flammarion (vulgarisateur scientifique talentueux, mais aussi thuriféraire passionné des sciences occultes), pour lesquels « théologie spirite » et « recherches métapsychiques » constituaient un tout indissociable. Il est à noter cependant que bon nombre de parapsychologues modernes tiennent aujourd’hui à se démarquer de la religiosité dont Allan Kardec entoura le phénomène spirite, préférant s’en tenir à la « réalité » (toujours sans légitimité scientifique) des phénomènes paranormaux.
Le spiritisme – la science Spirite : comment expliquer son succès ?
Le succès du spiritisme pourrait s’expliquer par l’apaisement recherché par ses fidèles, confrontés aux douloureux questionnements existentiels.
Kardec précise en effet dans ses divers « Livres révélés » que :
Tous les hommes sont protégés par des anges gardiens…
Nous sommes bel et bien éternels. Non par le corps, mais par l’âme…
Point de purgatoire à l’issue incertaine pour nos âmes, point de jugement dernier…
En mourant nous ne perdons pas le contact avec nos familles, nos enfants, nos amis…
Le spiritisme, contrairement aux autres religions, s’affirme scientifique…
Le spiritisme ne se heurte pas de front avec les grands dogmes traditionnels. Ainsi la Bible y est décrite comme faite de symboles, d’ellipses, de métaphores.
Il n’y a pas d’erreurs bibliques, mais seulement de mauvaises interprétations…
Cette science spirite, résolument non-violente et plutôt féerique, se démarque nettement des grandes religions traditionnelles parfois si effrayantes, souvent si culpabilisantes, et toujours si intransigeantes.
Le spiritisme face à la science
Dans les livres de Kardec les Esprits « révèlent » un souci pédagogique de vulgarisation scientifique qui devient touchant quand on sait quel enseignant passionné fut Hyppolite Rivail. Les textes sont ponctués de découvertes récentes sur la physique, la chimie, les sciences naturelles, et n’hésitent pas à dénier certaines assertions bibliques, revues et corrigées en ellipses symboliques et métaphoriques. Quand les Esprits ne peuvent répondre à des questionnements sans réponse à l’époque, Kardec rajoute un bref commentaire personnel pour dire que Dieu a fixé des limites à ne pas franchir par la connaissance humaine (« Dieu a ses mystères et a posé des bornes à nos investigations », Livre des Esprit, 45.III). Parfois même les réponses des « Esprits » expriment les erreurs du savoir scientifique de l’époque (à la question 44.III : « D’où sont venus les êtres vivants sur la Terre ? », un Esprit supérieur répond : « La terre en renfermait les germes qui attendaient le moment favorable pour se développer […] les germes restèrent à l’état latent et inertes […] jusqu’au moment propice pour l’éclosion de chaque espèce… »). Il est vrai qu’il faudra attendre encore une vingtaine d’années après le Livre de Kardec pour que, d’une part, Pasteur révolutionne la biologie et oblige (avec les difficultés que l’on connaît) la communauté scientifique à rejeter l’idée de « génération spontanée », d’autre part, pour que Darwin pose les fondements de la lumineuse théorie de l’évolution des espèces.
Pour Kardec il ne fait aucun doute que la foi en Dieu est le résultat d’une démarche scientifique : le principe affirmant que chaque chose a une cause et que chacune de ces causes a, elle aussi, une cause, aboutit inéluctablement pour lui à l’existence d’une « cause première originelle »… qui ne peut être que celle d’un « dieu créateur ». On retrouve là une tautologie pratique mais simpliste, vieille comme la pensée religieuse, qui ne peut évidemment aboutir qu’au questionnement infranchissable suivant : « Oui, mais alors quelle est la cause de Dieu ?… ». Les « livres révélés » du spiritisme éludent habilement cet ultime et angoissante interrogation.
Toujours pour Kardec, les « preuves matérielles » de la réalité du spiritisme sont incontestables : ce sont les messages objectivement observables, que les esprits nous envoient sous différentes formes (médiumnité, coups frappés sur des objets, voix venues du « fluide invisible des Esprits »…). Mais c’est aussi dans ce dogme que se trouve le talon d’Achille du spiritisme. En effet la science se dote durant le XXe siècle de nouveaux moyens de contrôles expérimentaux (notamment les techniques de « vision infrarouge ») qui déconsidèrent définitivement les prétentions médiumniques et ectoplasmiques du spiritisme. Aucun illusionniste moderne n’oserait se prêter aujourd’hui aux stratagèmes grossiers utilisés à l’époque de Kardec. Or « médiumnité » et « séances d’évocation », autrement dit « illusion » et « spectacles de magie », constituent l’essentiel des preuves qui légitimaient la science spirite ! Exit les tables tournantes ou brinquebalantes, preuves irréfutables de la réalité du spiritisme.
Il en faudrait pourtant beaucoup plus pour terrasser le penchant récurrent des hommes vers la pensée irrationnelle. Nos médiums de ce début du troisième millénaire sont technologiques. Les « Esprits » ne s’expriment plus par le truchement d’intermédiaires humains, ne se vautrent plus dans des voilages sombres et mystérieux ou par le biais de pieds de guéridons caractériels qui n’acceptent de valser que dans la pénombre. Leur voix imprègnent aujourd’hui les bandes de magnétophones accueillants, ou encore leur visage se matérialisent dans le scintillement pointilliste de l’écran noir d’une télévision allumée…
Les ficelles restent quand même bien grosses pour qui se refuse à être pris pour un demeuré…
Garder l’esprit critique en alerte
Fédérateur et tolérant, bon-enfant et fraternel, s’annonçant résolument « scientifique », accessible immédiatement sans faire appel à une « Connaissance » ésotérique, répondant d’une façon claire et rassurante aux angoisses fondamentales de l’humanité, le spiritisme séduira sans
doute tant qu’il y aura de par le monde un public peu formé à l’esprit critique, avide de donner sans effort intellectuel un sens humaniste, transcendantal et éternel à son existence. Que cela n’empêche pas les défenseurs de la raison de rester vigilants vis-à-vis d’une religion pseudo-scientifique où se mêlent, sans discernement ni distanciation, douces utopies de la pensée magique et confrontations inévitables avec la réalité quotidienne. L’actualité est là pour nous montrer comment les fuites mythomaniaques vers les fausses certitudes que nous offrent les marchands de rêves éveillés, peuvent être traumatisantes, désociabilisantes et déstructurantes pour des individus fragilisés par l’inculture, la maladie ou la perte d’un être cher.
La tolérance et le respect dus aux choix philosophiques des individus doivent savoir faire place à l’intérêt, d’ailleurs légiféré, de l’assistance à personnes en danger physique ou psychique. Le spiritisme fait, à mon avis, partie de ces croyances-là. Comme se plaisait à dire Jean Rostand : « Avoir l’esprit ouvert n’est pas l’avoir béant à toutes les sottises ».